Les grands hommes et femmes de lettres se sont parfois largues par voie epistolaire.
Flaubert, Duras, Sagan. Les grands ecrivains ont parfois pris la plume pour larguer leur partenaire. Tantot laconiques et dures, tantot bouleversantes, ces missives ont ete recensees dans une petite anthologie a savourer cet ete.
Que le texto nexistat pas en leur temps na pas empeche certains personnages illustres de rompre par voie epistolaire. Parfois, il sagissait avant tout de preparer le terrain avant la vraie rupture et en vue de menager lautre avant la discussion houleuse qui ne manquerait pas de survenir. Parfois, il etait question de justifier son intention de fuir, ou a linverse de mendier un dernier signe de la part de letre aime avant de promettre de renoncer a le reconquerir. Et dautres fois, on prenait tout simplement la plume pour jeter son amant(e) sans autre forme de proces.
Ces Lettres de ruptures (1) de grandes femmes et grands hommes de lettres (et de quelques autres personnalites historiques) ont ete compilees dans une anthologie parue en mai dernier dont on vous recommande la lecture si vous ne savez quemporter dans vos valises dete. Dans ce petit recueil de missives tourmentees, on decouvre les mille facons que ces gens ont eu de mettre leur partenaire a distance par les mots. Il y a les romantiques, comme Apollinaire ecrivant a son amante, laviatrice Louise de Coligny-Chatillon, et sefforcant de tirer un trait sur une relation dont on sent quil ne parvient pas a faire le deuil. Maintenant, cest fini, je ne veux plus taimer () Je ne ten veux nullement, tu as embelli ma vie pendant quelques mois, tu mas fait des serments qui mont exalte. Ils mont mis quelque temps au-dessus des autres hommes. J’y ai cru et ai ete heureux. Donc je dois t’en etre et t’en suis extremement reconnaissant ecrit-il, devoue, le 17 mars 1915.
Cetait un grand amoureux , commente Agnes Pierron, linguiste qui a preface et annote le livre. Mais tous nont pas les egards du poete. Nombreuses sont les lettres exaltees et chargees de reproches, comme celle de Marguerite Duras a Yann Andrea, jeune auteur homosexuel avec qui elle aura une relation passionnelle et une correspondance fournie. Yann, cest donc fini. Je taime encore , commence la lettre datee de 1980. Je taiderai, poursuit-elle. Mais je veux me tenir a labri de cette aridite qui sort de toi et qui est carcerale, intolerable, epouvantable. Dans ce courrier, Duras tient meme des propos homophobes, allant jusqua fustiger le ceremonial pitoyable des pedes . Visiblement eprouvee par leur relation houleuse, elle conclut ainsi sa tirade : Sil arrive que jaie le courage de me tuer je te le ferai savoir. Le seul empechement est encore mon enfant. Je taime.
Desespoir amoureux
Certaines lettres nous font plonger dans les eaux mouvementees des dechirements amoureux et du desespoir quils peuvent susciter. En 1910, Tolstoi ecrit a sa femme Sofia apres avoir fui : Une entrevue et, a plus forte raison, mon retour maintenant sont impossibles. () Ton etat actuel, tes envies et tes tentatives de suicide, qui plus que toute autre chose montrent que tu as perdu le controle de toi-meme, rendent impensables mon retour maintenant. () Adieu, ma chere Sonia, que Dieu te vienne en aide. La vie n’est pas une plaisanterie, et nous n’avons pas le droit de la quitter a notre gre, et il n’est pas raisonnable non plus de la mesurer a sa duree. Les mois qui nous restent a vivre sont peut-etre plus importants que toutes les annees passees, et nous devons les vivre dignement.
Au XIXe siecle, George Sand reproche carrement ses transports a Musset. Ah ! Tu maimes encore trop, il ne faut plus nous voir. Cest de la passion que tu exprimes, mais ce nest plus le saint enthousiasme des bons moments , lache-t-elle. Virginia Woolf, elle, quitte son mari Leonard pour le preserver de ses acces depressifs. Si quelqu’un avait avait pu me sauver, c’aurait ete toi (. ) Je ne peux pas continuer a gacher ta vie plus longtemps. Je ne pense pas que deux personnes auraient pu etre plus heureuses que nous l’avons ete , ecrit-elle en 1944 dans une lettre bouleversante.
Parfois, les mots ont valeur dultimatum, comme dans un courrier de la papesse de la nouvelle erotique Anais Nin a Henry Miller dans laquelle elle menace de partir a lautre bout du monde si les lettres de son amant ne deviennent pas plus humaines et moins centrees sur soi . On le voit dans ce recueil, les femmes ne sont pas en reste quand il sagit de semanciper dune relation encombrante ou trop douloureuse. Au XXe siecle, les femmes sont deja plus autonomes, explique Agnes Pierron. La lettre de Lou Andreas-Salome a Rilke est a ce titre particulierement moderne. Elle dit “je ne ten veux pas, je te reproche rien mais je veux dabord moccuper de moi” . Dans le courrier en question, la femme de lettres rompt avec lecrivain, qui est gravement malade. Elle a alors 40 ans et veut prendre son independance : Car maintenant seulement je suis jeune, maintenant seulement je puis etre ce que dautres sont a 18 ans : entierement moi-meme . Cest pourquoi ta silhouette (. ) sest perdue progressivement a mes yeux comme un petit detail dans lensemble dun paysage , ecrit-elle le 26 fevrier 1901.
“Je taime encore, mais cela, je ne te le legue pas”
Francoise Sagan, elle, nest pas du genre a senliser dans les histoires damour , samuse la linguiste. Elle ecrit a un amoureux anonyme avec humour et legerete, lui leguant metaphoriquement le cafe dans lequel ils se sont rencontres et un de ces megots si longs, si ecrases, si significatifs quelle laissait trainer partout. Puisque nous ne nous aimons plus, puisque tu ne maimes plus en tout cas, je dois prendre des dispostions pour les funerailles de notre amour. Apres cette longue nuit, chuchotante, et etincelante, et sombre twoo tarifs que fut notre amour, arrive enfin le jour de ta liberte , est laccroche de cette longue missive. La conclusion : je taime encore, mais cela, je ne te le legue pas. Je te le promets : je ne veux pas te revoir.
La cruaute d’Einstein
A ce titre, la lettre la plus cruelle de cette anthologie est probablement celle dAlbert Einstein a Mileva Maric, amour de jeunesse epouse en 1903. Visiblement plus preoccupe par son linge que par le c?ur de celle quil quittera pour sa cousine Elsa, il lui propose de netre ni plus ni moins que sa bonne a tout faire. Decomposee en quatre parties (A,B,C,D) le texte enumere les bons desirs du physicien. Extrait :
1) que mes vetements et mon linge soient correctement ranges et entretenus
2) que mes trois repas soient regulierement servis dans ma chambre
B. Tu renonces a toute relation personnelle avec moi a moins que cela ne soit absolument indispensable au maintien des conventions sociales. Puis precisement, tu tires un trait sur :
1) ma presence a tes cotes dans notre foyer
2) tout sortie ou voyage ensemble
Mais la palme de la cruaute revient probablement a Flaubert, ecrivant a la poetesse Louise Colet en 1855 ce billet laconique :
Madame, J’ai appris que vous vous etiez donne la peine de venir, hier, dans la soiree, trois fois, chez moi. Je ny etais pas. Et dans la crainte des avanies quune telle persistance de votre part pourrait vous attirer de la mienne, le savoir-vivre mengage a vous prevenir : je ny serai jamais. Jai lhonneur de vous saluer.